J'avais tenu à laisser un jour de repos à Whisper to Me car je savais que le temps lui serait nécessaire pour découvrir et apprivoiser son nouvel environnement. Je m'étais tout de même levé tôt, très tôt, afin d'être certain de pouvoir lui donner sa ration moi-même. C'est donc armé d'un seau de grains que je me suis rendu jusqu'à son nouveau boxe. D'une voix douce, je l'appelai :

" Whisper ! Viens là bonhomme. "

Je demeurai derrière la porte, attendant de voir s'il allait se retourner ou me mettre un vent royal. L'écurie était encore très calme à cette heure-ci. Pour un matin de printemps, il faisait assez frais et humide. Intérieurement, je priais pour que Whisper soit calme et que ce nouveau cadre lui convienne. Evidemment, je me doutais que ça serait loin d'être idyllique.

Lentement, Whisper se retourna dans son boxe. J'avais opté pour le mettre dans une suite avec vue sur la cour, vue sur le monde libre. J'espérais que cela serait bon pour son moral et qu'il ne tenterait pas trop de s'en prendre au moindre passant. Puisque le pur-sang anglais s'était tourné vers moi et avait bien détecté ma présence, je décidai d'ouvrir la porte. Evidemment, ses oreilles bien plaquées en arrière comme pour me dissuader d'entrer ne me rassuraient pas du tout. Mais j'avais la nourriture. Et s'il voulait manger, il allait devoir m'accepter sur son territoire. Même si ce n'était qu'un pied dans la paille, il allait devoir faire ce compromis. Whisper faisait un drôle de mouvement, secouant sa tête de gauche à droite et de droite à gauche. Comme un TIC. Bon, rien de grave... Ca passera sûrement dans les prochains jours. J'avais donc ouvert la porte et m'étais introduit dans la petite pièce. Je tenais le seau dans ma main droite, un peu en retrait, afin de laisser Whisper chercher la nourriture près de mon corps, pour se réhabituer à mon odeur. Il allait certainement utiliser davantage ses naseaux que son oeil restant, et c'est justement ce que je recherchais pour le moment. Lui faire faire des choses qui ne sont pas contraignantes pour lui et qui lui donnent satisfaction en retour.

" Voilà mon grand. A toi de jouer maintenant. "

Contre toute attente, Whisper ne fit pas un seul pas en avant. Il avait avancé son nez, humant le seau et avait finalement renoncé. Je dois bien m'avouer déçu à cet instant. Je soupirai, attendant encore un peu, espérant toujours qu'il bouge et que l'appât nutritionnel lui donne envie de me frôler. Cependant, le pur-sang anglais n'en fit rien me laissant seul avec mes fantasmes. Je murmurai alors, ayant pris une décision :

" Je vais avancer un peu alors. Si tu me laisses entrer un peu plus dans ton espace privé, c'est mieux que rien. Hein mon grand ? "

Je fis un petit pas vers lui, avançant mes pieds dans la paile. Puis je pris bien soin de laisser le seau au même endroit afin d'être sûr d'atteindre mon objectif.

" Allez bonhomme. C'est bon tu vas voir, tout ce grain rien que pour toi... "

Aucun mouvement. J'étais en train de me demander quoi faire, un pas de plus ou avancer le seau lorsqu'il se décida. Brusquement, Whisper plongae sa tête dans le grain et ressortit presque immédiatement, machouillant bruyamment à distance respectable de mon corps. Je ne pus retenir un sourire soulagé. Progressivement, ses oreilles se dressèrent en avant. Je prononçai quelques encouragements, légers murmures :

" C'est bien mon grand. Tu vois Whisp', c'est bon. Tiens, reprends-en. "

J'avançai sensiblement le seau vers lui, en récompense à son courage. Ses naseaux tendus vers le grain, il ressemblait presque à n'importe quel autre cheval, gourmand et confiant. Je gardais tout de même le seau contre moi, pour qu'il s'approche toujours de ma silhouette.

Ses oreilles se plaquèrent en arrière. Je me stoppai dans mon avancée. Ok, j'avais atteint ses limites. Désormais c'était à lui de faire le pas vers moi. Ce qu'il fit à une vitesse hallucinante. Après avoir calculé la distance qui nous séparait par un balayage de son unique oeil, il s'était jeté sur le seau une nouvelle fois. Puis, après avoir pris du grain dans sa bouche, il avait rapidement repris sa place au fond du boxe. Je soupirai. A ce rythme là, nous allions y passer la matinée. Tant pis ! Il fallait que je sois patient. Whisper to Me n'était vraiment pas un cheval simple, et je manquais souvent de ressources. Je songeai qu'il faudrait sûrement demander un coup de main à d'autres cavaliers ou un référent éthologie. Je décollai alors le grand récipiant de moi, bras tendus vers lui.

" Tiens, essaie de finir calmement d'accord ? "

Ma voix se voulait douce, rassurante. Je voulais qu'il plonge sa tête dans le seau et y reste plus d'une seconde. Mais c'était loin d'être gagné, comme bien souvent...

Et voilà maintenant que Whisper tapait du pied et plaquait de nouveau ses oreilles en arrière. A ce rythme là, nous n'avancerions jamais. Je soupirai. Il était peut-être temps de s'arrêter là. Je fis un pas en arrière et posai le seau au sol. Je quittai le boxe mais demeurai devant la porte au cas où il y aurait un souci avec le seau. Je me dis de dos et guettai chacun des bruits qui pourraient m'indiquer que Whisper mangeait son grain. J'attendis donc patiemment qu'il bouge. Je fermai les yeux, conscient d'être ridicule, mais cela m'aidait à me concentrer sur sa respiration, ses mouvements. Je l'imaginais, ses oreilles plaquées vers le mur derrière lui, sa tête faisant le même mouvement répétitif. Si seulement il pouvait me donner un peu de sa confiance encore une fois. Pour aujourd'hui, j'avais clairement abandonné. Mais la prochaine fois, je reviendrai armé d'un camarade qui me donnerait des conseils. Je n'étais vraiment pas doué avec ce cheval, et pourtant, ce n'était pas faute d'avoir fini par m'attacher à lui.

Toujours dos au boxe, j'attendais que le miracle se fasse, et il se fit ! Soudain, j'entendis le bruit de sa langue rapant contre le plastique du seau et le broiement des granulés. Je ne pus m'empêcher de me retourner lorsque je perçus le son du seau qui glissait dans la paille fraîche. C'est alors que je vis, en me penchant par-dessus la porte, que Whisper avait tout mangé. A la fois déçu d'avoir précédemment échoué et ravi qu'il aie enfin terminé sa ration, je restai quelques instants planté là, un sourire aux lèvres. Je le félicitai à voix haute et d'un ton presque enjoué :

" C'est très bien ça, mon bonhomme. Tu vois, c'est ce que j'attends de toi. Juste que tu manges. Que tu sois un grand cheval heureux. "

Lentement, j'ouvris de nouveau le loquet de la porte, tendant le bras, je m'emparai du seau puis le posai à l'extérieur. Je refermai la porte et observai encore quelques secondes le pur-sang anglais. Il était vraiment magnifique.

Finalement, je m'assurai que la porte reste bien fermée. Puis je saluai Whisper en lui promettant de repasser plus tard. Je jetai un ultime regard à sa tête qui dépassait de la porte du boxe, puis je quittai les écuries. Le bilan se faisait dans ma tête, et je voyais qu'il y avait encore de très longues journées de travail pour arriver à établir ne serait-ce qu'une habitude entre nous, sans forcément parler de confiance. Chaque matin, donc, je reviendrai pour lui donner sa ration moi-même. J'allais essayer d'apprivoiser Whisper par la seule chose qui le rattachait à une notion de plaisir : sa bouffe !