L'été nous avait quitté, laissant derrière lui le souvenir des belles chaleurs et des bonnes soirées. Heureusement, tout n'était pas parti en fumée, et comme d'habitude, toutes les raisons étaient excellentes pour revoir ma bande de copains dans le cadre d'une ultime fête estivale. Au programme : barbecue, piscine, alcool et quelques jolies filles. Et tout ça, offert par ce cher Fernando qui avait, selon son SMS d'invitation, une grande nouvelle à nous annoncer. Il avait attisé ma curiosité et la maintenait en haleine, puisqu'il n'avait ensuite plus donné aucune nouvelle. Il voulait préserver son secret et savait très bien comment ne pas succomber et vendre la mèche ! J'avais quitté les écuries au milieu de l'après-midi, car je voulais avoir le temps de courir avec Espilon. J'avais regagné mon appartement couvert de sueur et mon chien haletant. Après lui avoir donné de quoi se rassasier, j'avais pris une douche et avais passé une chemise dans les tons ciel, et un pantalon beige. A plusieurs reprises, pendant mon jogging, mes pensées s'étaient tournées vers la Cuadra et la jolie blonde qui y débourrait des poulains. J'avais eu envie de proposer à Keziah de se joindre à nous ce soir. Mais il fallait se rendre à l'évidence, c'était bien trop tôt. Je souris, me sentant idiot. Nous avions bien le temps d'avancer. Ces derniers temps, Zoé s'était plutôt tenue à l'écart de ma vie, tant privée que des écuries, et ce n'était pas plus mal. Même si je savais pertinemment que cela ne présageait rien de bon. Je ne savais pas où sa vengeance la mènerait, sur quel front elle s'en prendrait à moi. Mais elle avait dit ne pas s'en prendre directement aux personnes que j'aimais. Il y avait un espoir. Infime.

Je fermai l'appartement après avoir fini de me préparer et m'être emparé d'une bouteille de vin rouge. Je montai dans ma voiture et démarrai. Le son de l'auto-radio monté à son maximum sur une playlist de l'été, tout était parfait. Je suivis les panneaux indiquant la direction de Bordeaux, où résidait Fernando dans un sublime appartement. Il avait su devenir quelqu'un, lui. C'était un vrai riche maintenant ! Il l'avait toujours été, mais aujourd'hui, il avait tout fait fructifier et c'était tout à son honneur de couler des jours tranquilles. Jeune et pourtant très ambitieux. Et toujours aussi passionné par sa bagnole ! J'étais soulagé de voir qu'il ne m'en avait pas voulu de l'avoir menacé lorsqu'il avait flirté avec ma petite soeur en boîte, cet été. Tout cela était derrière nous. Il n'avait pas été au courant et connaissait ma détermination. Finalement, tout s'arrangeait lorsqu'il s'agissait d'amitié sincère.

Je garai ma voiture dans le parking de la résidence et pénétrai dans le jardin où se trouvaient déjà beaucoup de mes amis du lycée. C'est avec un sourire franc et chaleureux que je les retrouvais. Mais dans toute cette ambiance, quelque chose sonnait faux.

Une fausse note que le vent d'automne venait couvrir de ses sombres nuages. Le temps allait changer. Et plus vite que ce que je pensais.

J'étais dos à elle et je ne l'avais pas vu entrer en scène. J'écoutai jusqu'au bout sa voix mielleuse. Aucun doute, rien n'avait changé depuis la dernière fois que nous nous étions vus, au club house. Zoé me détestait toujours autant, si ce n'était davantage. Lorsqu'elle eut achevé de parler et que mon regard reprit de la couleur, je me tournai vers elle. Mon sourire était tout aussi faux que le sien. Je chassais toutes les questions qui me sautaient à la gorge : que fais-tu là ? pourquoi ne t'es-tu pas encore vengée ? pourquoi chez Fernando ? Oh ! mon coeur manqua un battement. Non, je devais simplement me concentrer sur le moment présent et ne pas montrer aux autres invités ce qui se tramait avec ma soeur.

" Zoé ! "

Je passai mes bras autour des épaules de Zoé et l'attirai vers moi, chuchotant à son oreille quelques menaces :

" J'te déconseille de faire une connerie, Zoé. "

Puis je relâchai mon étreinte et m'écartai de sa silhouette. Je pris alors quelques secondes pour examiner sa tenue. Aucun doute, Zoé savait très bien que j'allais venir, et c'est pourquoi elle portait une robe aussi provocatrice. Et cette couleur, ce rouge vif qui me faisait l'effet d'un coup de couteau. Car oui, tout, vraiment tout, représentait l'achèvement de la vengeance de ma petite soeur. Ce rouge montrait comme un mauvais présage à quel point elle comptait me faire souffrir. Zoé ne s'était pas vengée, parce qu'elle préparait son coup en silence, pour agir dans le plus grand bruit. Ce soir, j'allais prendre cher. Peut-être qu'il était encore temps de fuir et de rentrer chez moi. Heureusement, une alternive s'offrit à moi. Tous les convives devaient être arrivés car Fernando réclama le silence, du haut du petit plongeoir de sa piscine d'où il nous dominait. Son annonce serait ma sortie de secours. Mon attention était toute focalisée sur lui pour ne plus penser à Zoé et ses malédictions.

Je me faisais tout sourire en voyant la poignante émotion qui transparaissait sur mon camarade. Fernando, qui pourtant avait l'habitude de se mettre en avant, semblait tout d'un coup transformé. Imperceptible pour celui qui le connaissait mal, un tremblement faisait sursauter sa coupe de champagne à laquelle il se raccrochait fermement. Il prit alors la parole, avec son petit et faux accent espagnol qu'il utilisait pour séduire la gente féminine. Notre ami à tous nous expliqua pourquoi il ne sortait plus en boîte, dragouilleur qu'il était dans le passé. La raison ? L'amour. Incroyable. J'émis un léger rire très discret, songeant pour moi-même que ce devait être une nouvelle lubie. Je secouai la tête, attendant des preuves ou des explications plus poussées. Et le voilà qui se mettait à parler de mariage. Cette fois-ci, je ne retins pas mon rire, comme presque chacun des invités qui le côtoyait, l'étincelle moqueuse s'était allumée et elle se fit stopper net par le sérieux inédit qui s'affichait sur le visage de Fernando. Non, songeais-je, il est vraiment sérieux, là ? Fernando... J'y crois pas. Mais qui t'a fait tourner la tête comme ça ?

C'est alors que Fernando tourna son regard dans ma direction, tout en contournant la piscine après être descendu de son plongeoir. Il avançait vers moi ou... Je balançai ma tête, de gauche à droite, pour découvrir qui mon ami avait choisi pour épouse. Mes yeux se posèrent sur Zoé. Ou plutôt sur une jeune femme qui laissait percevoir un manque de contrôle évident. La pression montait en elle et en moi également. Le doute n'avait pas encore basculé vers la réalité crue. Si Fernando demandait Zoé en mariage comme je le pensais, que se passerait-il ? J'essayais de réfléchir à toute vitesse. L'alcool m'aiderait certainement à y voir plus clair. La coup de champagne que je tenais dans ma main était pleine. J'avais déjà tout foutu en l'air comme ça. Pourquoi chercher à m'immiscer une nouvelle fois dans la vie de ma petite soeur ?

Fermement décidé à ne pas agir, j'attendis de voir ce qui allait maintenant se produire. Le romantique espagnol se mit à genou et fit sa déclaration devant chacun des invités qui gardait le silence. Zoé était manifestement déboussolée. Les larmes que je croyais voir perler à ses yeux étaient-elles dûes à l'émotion ou au dégoût ? Dans tous les cas, j'avais besoin d'un verre pour faire passer ça. D'une traite, je liquidai le champagne de ma coupe et la reposai sur une table à proximité. J'en profitai pour une saisir une autre et m'avancer vers le couple. Posant une main sur ma soeur dont le regard hurlait un SOS, sans doute parce qu'elle ne voulait pas se mettre autant en avant, et incitant Fernando à se relever, j'annonçai à haute voix, perceptible de tous :

" Quelle surprise ! C'est merveilleux ! "

Je pris Fernando par les épaules tout en poursuivant :

" Fernando ! L'un de mes amis les plus proches qui va devenir mon beau-frère ! J'ai du mal à y croire ! Mais je suis certain qu'il fera le bonheur de ma petite soeur ! "

Je levai ma coupe, incitant tous les convives à faire de même :

" Alors levons tous nos verres : aux futurs mariés ! "

Une fois que le calme se fut dissipé et l'agitation revenue, chaque petit groupe parlait de l'événement. Ce serait sûrement un mariage hors normes. Conservant mon sourire, je pris Zoé par l'épaule et demandai d'un ton ferme à son futur époux :

" Ca t'ennuie si je te pique ma soeur quelques minutes ? Je voudrais la féliciter personnellement. "

Je l'entrainai à l'écart, dans la maison, lui demandant sans hausser le ton :

" J'espère que je n'ai pas été trop ingrat cette fois ! Je comprends que tu n'aies pas eu envie de m'en parler après tout ce qu'il s'est passé. Mais réponds-moi sincèrement s'il te plait : tu es bien sûre de ce que tu vas faire ? "