En vue de préparer le concours de saut, j'avais décidé de prendre un cours. Parce que Perdedor n'était pas un champion du saut, vu que moi-même je n'aimais pas particulièrement ça...
J'avais fait préparer mon cheval par Jenna, sortant tard du travail aujourd'hui, et j'avais immédiatement filé vers le manège, après avoir enfermé mon chien dans le box de mon étalon. Je ne pouvais pas l'emmener avec moi, c'était un cours collectif. Et je ne voulais pas le laisser seul dehors, avec la nui tombante, j'avais peur que les voitures le voient mal, et qu'il ne lui arrive malheur.

J'entrais et, ayant demandé au moniteur s'il attendait d'autres élèves, je fermais la porte derrière moi. Je l'écoutais avec attention, jaugeais rapidement l'allure du manège, et grimpais sur mon fier étalon. J'allais devoir me détendre seul, et travailler tranquillement, avec les juments qui entouraient mon étalon. Qui commença d'ailleurs à avancer la tête haute et l'encolure arquée comme un cheval de dressage. Ah bah voyons.

Je m'éclipsais donc dans mon petit coin, histoire de le mettre au trot. J'eus le droit à un trot aérien et fier. Au moins, il devait avoir la classe, vu de loin. C'était toujours ça de gagné.
Afin de le concentrer quelques peu, je lui fis travailler les transitions sur des cercles. De plus en plus petits, histoire de le forcer à s'incurver comme un champion. Bah oui, il me faisait un semi-piaffer, autant pousser le vice jusqu'au bout.

Au bout d'une bonne dizaine de minutes, je changeais de main, et continuais mes transitions. J'arrivais même à faire du trot-pas pas-trot.
Plutôt fier de moi, je repassais au pas, et m'approchais du professeur, au centre du manège. En tenant la tête de mon étalon en puissance, je fis attention à ne gêner la trajectoire de personne, avant d'aller lui poser une question.

- Vous auriez une idée de comment le détendre au galop en le canalisant ? Il est assez insupportable avec les juments, j'ai peur qu'il ne prenne le mors.

Lorsque j'expliquais mon problème au moniteur, il sembla comprendre parfaitement. Au moins, ce n'était pas encore un de ces profs imbus de théorie qui ne comprenaient pas que les chevaux avaient leurs humeurs et que monter un entier, en période de chaleurs, revenait à monter dans un avion américain survolant la Russie en pleine guerre froide...
Il m'accorda une bonne partie du manège pour me permettre de travailler sur un cercle. je le remerciais d'un petit signe de tête, et partit placer mon bai sur un large cercle.

Comme prévu, à peine lui eu-je demandé le galop qu'il partit, l'encolure massivement ramassée vers avant. Je le remis derechef au pas, repris un peu plus de contact avec sa bouche, puis lui demandais un départ directement du pas, pour l'empêcher d'avancer davantage sa tête.
Mon petit manège sembla fonctionner, et je me mis immédiatement en équilibre, serrant fort mes mollets et mes genoux pour maintenir un contact permanent.

J'ajustais l'inclinaison de mon haut du corps pour réguler la vitesse de mon étalon. Il se comporta plutôt sagement, et je changeais de main rapidement. Trop peut-être, car il me prit le mors aux dents sur le doublé, en profitant pour faire étalage de sa puissance.
Et, alors que je le remettais sur un cercle en serrant davantage les rênes, je commençais à songer sérieusement à poster une vidéo de lui et à la diffuser dans tous les boxes des juments de l'écurie. Au moins, il arrêterait peut-être de faire son intéressant.

En rétrécissant petit à petit mon cercle, je parvins à reprendre le contrôle de ma folle monture, et même à l'arrêter lorsque le moniteur nous demanda de le rejoindre.
Un large sourire s'afficha sur mes lèvres quand il nous annonça l'exercice. Le sans étriers, ça me connaissait. A la limite, la difficulté de l'exercice pour moi allait être de le garder au trot, le Perdedor...

Je me mis dans la file, derrière un jeune homme juché sur une jument bien trop petite pour lui. Pour m'amuser, je critiquais les positions des uns et des autres sur le saut, diverti par l'impression que certains chevaux transportaient de véritables sacs à patates. Et encore. C'était une injure pour les patates que de les comparer de la sorte.

Je fis mon premier passage, ne bougeant pas d'un poil lorsque Perdedor fit un bond deux fois trop grand. Bah oui, le pauvre, souvent quand il doit éviter un truc, il doit l'éviter de loin, parce que ce truc finit souvent par prendre feu.
Mais au moins, j'étais parfaitement à l'aise, même si je regrettais presque d'avoir mis une selle. Je n'étais pas aussi adhérent à mon cheval que je l'aurais voulu.

Un des cavaliers considéré comme un sac à patates vint me mettre au défi de faire mieux que lui, qui venait finalement de réussir un saut correct. Avec un petit sourire en coin, je relevais le défi, et repartit au petit trot sur le croisillon. Faisant un noeud à mes rênes, je pris appui de mes deux mains sur la selle quelques mètres avant l'obstacle afin de me mettre debout su ladite selle. Je laissais mon cheval sauter, avant de me reposer sur la selle, comme si de rien n'était.

Un franc sourire aux lèvres, je glissais un petit regard amusé vers celui qui avait osé me défier sur mon propre terrain. Puis, repassant El Perdedor au pas, je le caressais longuement.

Malgré la remarque du professeur, je gardais mon grand sourire victorieux. Me retenant de justesse de lui lancer un léger "Moi, c'est Lancelot, pas Dieu", je me re-concentrais immédiatement en analysant l'obstacle. Bon. Ce n'était pas bien haut, même pour mon cheval piètre sauteur cela devrait être potable.
J'avais simplement peur qu'il comprenne mal le sens de la barre d'appel, et qu'il n'essaie de passer par-dessus avant de sauter l'obstacle. Il en serait capable, quitte à se prendre la barre du vertical en plein poitrail. J'allais devoir garder une impulsion constante et relâcher la pression sur les rênes une seule foulée avant la barre, sinon j'étais certain de me retrouver le nez dans la poussière.

Je le fis tourner au trot, dans un petit coin isolé loin des juments bien trop distrayantes à mon goût. Quand vint mon tour, je lui fis prendre un petit galop, le forçant à faire de petites foulées pour rester bien ramassé. Il sauta, et sans se prendre l'obstacle de plein fouet, mais il ponctua son saut d'une délicate ruade, et je me retrouvais penché en avant à la réception, ce qui eut pour effet de déstabiliser complètement mon cheval, qui s'arrêta brusquement. Laissant un sillon dans le sable du manège. Ah oui, c'est vrai. C'était même moi qui l'avait entraîné à faire ça.

Sauf que là, ce fut bien trop pour ma patience mise à rude épreuve. Cela faisait bien longtemps qu'il ne m'avait pas gonflé à ce point en n'en faisant qu'à sa tête. Je descendis brusquement de selle pour me placer devant lui.

- Mais t'as pas fini, espèce de couillon ? Forcément, tu veux m'éjecter, alors t'étonnes pas de me retrouver assis bizarrement à la fin du tour de manège, c'est clair ? Maintenant, tu gardes ton cul en bas, sinon j'en fais du steak haché ! Et fin, le haché, alors fais gaffe.

Sur ce charmant éclat de voix, qui eut pour seul effet de faire coucher les oreilles à mon étalon, je remontais en selle illico-presto, et le fit partir immédiatement au galop sans même lui demander si ça le dérangeait. J'en avais plus qu'assez de me soucier du bien-être de ce petit prince quand il ne faisait aucun effort pour faire la plus élémentaire des choses.

Dès que l'obstacle fut disponible, j'en profitais pour aller y refaire un petit tour. Je gardais une position en équilibre plus droite que la fois d'avant, histoire de contrer à une éventuelle farce de mauvais goût de la part de Perdedor. Mais, visiblement échaudé, il sauta correctement, quoi qu'un peu tard.
Mais, là, j'étais fautif, j'avais voulu garder un maximum de contact avec sa bouche jusqu'à la fin. Quoique. Il n'avait même pas touché la barre. Ça n'avait pas du être si terrible que ça.