Je passais mes journées dans les écuries, à filer un coup de main aux palefreniers, à m'occuper de Kaspyan. J'avançais lentement avec ce cheval. Mais j'essayais de me persuader que j'avançais. Son air blasé, irrespectueux, sans être mauvais, me troublait, et me fatiguait. Je ne sentais rien de sa part, si ce n'est un "je m'en foutisme" total.
J'avais enfilé un pantalon d'équitation noir, classique, prêt du corps, avec une paire de boots à lacet, aussi pratique pour marcher toute la journée dans les écuries que pour monter. De plus, j'avais enfilé un débardeur, noir, qui laissait à découvert la peau hâlée de mes bras et de mes épaules. J'avais enfin ramené mes cheveux dans un chignon désordonné avant de partir travailler.
Quelques jours auparavant, j'avais rencontré Luka, un cavalier à CDE. Un homme assez beau, très sympathique. Son chien Epsilon m'était rentré dedans, drôle de rencontre, dont je gardais un bon souvenir.. Jusqu'au départ assez froid de Luka. Je n'avais pas compris cette précipitation, qui m'avait laissé une dernière impression assez étrange du jeune homme. Cependant, je m'étais engagé à l'aider avec l'un de ses chevaux, Whisper. J'avais l'impression qu'il rencontrait les mêmes problèmes que moi avec Kaspyan, et j'eus peur de ne lui être d'aucune aide, mais j'espérais être à la hauteur.
J'entendis mon prénom dans les écuries, tournait vivement la tête, et vit Luka, devant les boxs de ses chevaux. J'avançais vers lui, tout sourire aux lèvres.
Je fus un instant déconcertée lorsque Luka se pencha vers moi. Mais vite rassurée, et je riais intérieurement de ma bêtise. J’avais une fâcheuse tendance à oublier l’attrait des Européens pour la bise. C’était une pratique qui n’avait vraiment pas cours chez moi. D’ailleurs, j’imaginais bien les cowboys, virils, mal rasés, recouverts de sueur et de poussière, se claque la bise. Je souris, amusée par l’idée, avant de me tourner vers Luka.
Ca va, ca va. Rien de bien fou sous le soleil.
J’admirais les deux chevaux de Luka alors qu’il me les présentait. Swag et Whisp. Swag était un animal absolument sublime, sans aucun doute. Quand il te décrivit comme un empereur, je souriais tant la comparaison était bien trouvée. Il était fier de lui même, ça se sentait. Je passais ensuite à Whisp. Celui qui lui posait problème.
Et l’histoire de Whisp, c’est quoi un peu ? Comme il est passé de cheval monté correctement à ça.. ?
Je m’accoudais à la porte du box, sifflotant gentiment, scrutant les réactions de Whisper.
Déjà lorsque les deux humains s'étaient approchés du box, l'étalon avait couché les oreilles. Mais maintenant c'était trop. L'humaine qui s'accoudait à la porte. Whisper avec reprit son satané mouvement de gauche à droite de la tête et finalement c'était cloitré au fond du box. Terrifié.
Il recula, instantanément, visiblement apeuré par ma présence. Je me saisis de quelques carottes que j'avais prise avec moi, et me tournait vers Luka.
Tu me fais confiance ? Viens, on entre.
J'ouvrais, doucement la porte du box. Et là, j'oubliais Luka. J'oublaiis Kaspyan, Epsilon et Swag. J'oubliais mon père. J'oubliais ma mère. J'oublais mon foyer et j'oubliais mon nom. J'oubliais tout. Maintenant, j'étais là pour Whisper.
J'allais m'assoir dans le coin opposé à Whisp, doucement, face à lui, après avoir refermé la porte derrière Luka. Le dos contre le béton glacé, je me mis à chantonner, un air à la fois doux et berçant, qui me détendait autant qu'il me permettait de me concenter sur ma tâche. Whisp devait venir à nous. Jamais le contraire.
Luka ne me faisait pas entièrement confiance, à l’instar de Whisper.
C’est l’effet que ressentait la quasi totalité des propriétaires avec qui j’avais travaillé. Pourquoi ? Parce qu’on faisait toujours, sans exception, quelque chose qu’il n’avait jamais osé ou pensé faire. Parce que, contrairement à nous, ils connaissaient leurs chevaux, parfois depuis des années. Parce qu’on ne pouvait pas leur expliquer qu’il y avait des codes. Des règles. Des façons de faire quasi universelles. Parce que jamais je n’aurais pu expliquer à Luka que la première fois que j’ai fait ce que je lui demande actuellement de faire, j’avais 5 ans. Et que j’avais fait ma sieste dans le box d’une jument qui, la veille, avait foncé sur ma mère, qui heureusement avait bondi sur le côté, se jetant à terre. C’était inexplicable parce que ça défiait toute forme de logique cartésienne. Mon père et moi avions cessé depuis bien longtemps de tenter de nous justifier face aux propriétaires. Cependant, Luka n’était pas un client comme un autre, et, à voix basse, je décidais alors de lui expliquer ma démarche.
La plupart du temps, Whisper, comme n’importe quel cheval, va être approché pour une action précise. Faire les soins, le box, le nourrir, visite vétérinaire, du maréchal.. Et j’en passe. Le but, c’est d’être là. Juste d’être là. De lui faire comprendre que tu n’es pas associé à du travail, à un outil déplaisant ou que sais-je. Tu n’es pas non plus uniquement celui qui porte la nourriture. Tu es son cavalier, certes, mais pour un tel cheval, il faut bien plus que ça..
Je souriais au jeune homme avant de me tourner vers l’étalon. Celui ci était au fond de son box, bougon. Clairement, il ne s’approcherait pas de nous aujourd’hui, mais peu m’importait. Nos odeurs, nos voix, notre présence, c’est tout ce qu’il devait accepter aujourd’hui. Faire plus aurait été stupide, précipité.
Je me tournais à nouveau vers Luka. Il était clairement inquiet.
Luka, détend toi. Je sais ce que je fais. Si tu veux que je m’en aille, je le fais, tu n’as qu’un mot à dire. Mais si tu ne te détend pas avec lui, comment tu veux qu’il le fasse ? Si tu ne lui fais pas assez confiance pour t’assoir ici, comment tu peux lui demander de t’accorder sa confiance ?
Je souriais, doucement, au jeune homme, mesurant volontairement mes propos. Je ne savais pas tout, mais je laissais délicatement mon expérience lui parler.
J’observais Luka et Whisper, chacun leur tour. Je cherchais une façon de rapprocher ces deux personnages que moi même je ne connaissais pas. Bien que j’ai passé un instant agréable avec Luka, je ne pouvais pas pousser jusqu’à dire que nous nous connaissions. A vrai dire, nous nous découvrions. Et jusque là, je n’étais pas déçue de ce que j’entendais.. Ni de ce que j’avais sous les yeux, m’avouais-je avec un sourire.
Je me tournais à nouveau vers sa monture, intriguée.
Alors, explique moi. Quelles manipulations il accepte ? Sur quoi tu travailles ? Qu’est ce qu’il aime, qu’est ce qu’il accepte seulement ?
Après tout, j’avais plus que besoin d’une remise en contexte avant de conseiller quoi que ce soit. J’avais tenté de trouver le dossier de Whisper, sans succès. Seul Luka pouvait m’aider sur ce coup là, à moins que j’aille m’adresser directement à la directrice.
Cloîtré au fond de son box, Whisper tremblote. Ses yeux se révulsent, son port de tête et haut et sa tête elle dodeline de droite à gauche sans cesse. Il aimerait s'enfuir, reculer encore plus mais rien n'y fait : il est coincé.
Pour moi, ça ne collait pas. La seule perte d'un oeil n'expliquait pas le comportement que j'avais sous les yeux. Pareil pour l'incendie ? Luka serait-il en effet responsable du drame dont m'avait parlé la directrice, le jour de mon arrivée ? Serait-il la dernière personne que Whisp aurait vu, avant l'accident ?
Quelque chose me dérangeait. Même sa manière d'exprimer ce que je pensais être un besoin de fuite ne collait pas. L'encolure qui dodeline, c'est un tic d'ennui plus qu'une menace, ou une représentation de la peur. Sauf que pourquoi il tiquerait ..?
J'étais partie pour me bouffer mon temps et mon énergie sur ce cheval autant qu'avec Kaspyan, j'en étais intimement persuadée.
Ne t'en fais pas. Je vais essayer, mais c'est pas une science exacte. Le vrai problème, c'est de recommencer en fait. Il a fait confiance une, voire deux fois, il s'est avéré que pour lui, il s'est sûrement trompé. Et contrairement à un poulain qui découvre, Whisp sait exactement ce que tu veux, et ce qu'il ne veut pas..
Je regardais à nouveau le jeune cavalier.
En l'occurrence, nous.
J'étais désolée de ça. Sincèrement. Je comprenais ce qu'il pouvait ressentir à une telle annonce, mais Whisper n'avait aucunement besoin de Luka, de moi, e quiconque à ses côtés. Moins il sera là, mieux le cheval se porterait. Pour l'instant.
Il faut que tu le fasses sortir. Un paddock, un pré, peu importe. Que quand tu ailles le voir, il ne soit pas enfermé dans ce box.
Ca se tentait. Je l'avais tenté, avec Kaspyan, et des dizaines d'autres auparavant..
Je sentais la douleur de Luka dans sa voix. Je pensais bien que je le blesserais, mais je devinais que j'avais touché un point sensible chez le jeune homme. Je calmais ma curiosité, gardant ce genre de discussion pour plus tard, hors du box.
Et tu préfères lui forcer à accepter ta présence ?On peut aller voir la directrice, renforcer les prés, installer 1 mètre de plus de clôture. Je l'ai fait des centaines de fois, je n'aurais même pas besoin qu'elle paye quelqu'un pour ça.
Un espace aussi exigüe qu'un box ne laissait aucune place à la confiance, au choix, à la création d'une relation. Au ranch, nous avions une rangée de box, pour les chevaux malades, ou blessés. Rien d'autre. Ils passaient l'année au pré, avec abris et compléments alimentaires, évidemment. Il était vrai que nos prés faisaient facilement 20 fois la superficie de ceux de CDE. En même temps, en plein Wyoming, l'espace n'est pas un problème..
Il ne viendra pas vers toi tout de suite. Je ne vais pas te mentir, c'est possible que tu ne le vois pas pendant des jours, voire plusieurs semaines.
Je marquais le temps d'une pause. Je n'avais pas envie de le blesser outre mesure. Combien de fois m'étais-je moi même effondrée en larmes, à deux doigts de relâcher dans la nature un cheval sur lequel j'avais passé des mois à travailler, sans aucun résultat ?
Puis un jour, il se pointera. Tu le verras à peine. Il restera à quoi, aller, 50 mètres de toi. Puis à 30. Puis à 20. Puis il sera à quelques mètres à peine. Puis à côté..
Avec un sourire, je me tournais vers Luka.
Puis un jour, il te touchera. Et là, tu auras ce que tu veux. La confiance de ton cheval.
Ma voix était douce, douceur qui était accentuée par le fait que je murmure. Je ne voulais pas le paniquer. Je ne voulais pas qu'il baisse les bras. Mais il fallait ouvrir les yeux. Ce cheval ne cèderait pas sous la pression.
On peut le sédater pour le sortir. On peut l'emmener avec un autre cheval, un des chevaux bien placides, bien dociles, pour le calmer. Un dominant, pour que Whisp remette en place ce qu'est une hiérarchie légitime.
Les idées fusaient, je me contrôlais pour ne pas noyer Luka sous mes paroles.
Contrairement à tant de cavaliers, tant de propriétaires, Luka semblait considérer mes propos, y réfléchir. Qu'il ne les accepte pas, ou ne les applique pas, ne m'aurait pas dérangé. J'aurais compris, avec tristesse cependant, qu'il préfère sa méthode à celle d'une étrangère. Mais finalement.. Finalement il acceptait de tenter le coup. Je souris, flattée. C'était une grosse responsabilité pour moi. Si ça foirait, si ça bloquait Whisper To Me, Luka pourrait légitimement m'en vouloir. Mais j'étais plutôt sûre de cette idée. Je n'avais jamais vu un cheval rechigner à une mise en liberté. Maintenant, à voir comme Luka aborderait son cheval, une fois celui ci dans un espace beaucoup plus grand.
Le rapport changerait. Evidemment. En bien, je l'espérais.
Evidemment. Je suis dispo, que ce soit pour l'enclos, en parler à la directrice, te filer un coup de main, des conseils, peu importe.
Je souris en retour à Luka, rassurée de sa réaction, et touchée également par ses propos.
Puis tu as l'air de tenir à ce cheval. Pour le peu que tu peux faire avec lui, je trouve ça touchant. C'est rare. J'ai envie de t'aider.
J'étais sincère. Luka était une perle rare sur ce point là. J'ai vu des cavaliers abandonner un cheval, ou le battre jusqu'au sang, parce qu'il ne sautait pas assez haut, n'allait pas assez vite, ne présentait pas assez bien. Luka pouvait à peine s'approcher de sa monture, et pourtant, il semblait prêt à tout pour construire un lien, aussi infime soit-il, avec lui. Je le sentais, il cachait quelque chose. Ce cheval avait quelque chose de particulier. Il m'avait décrit Swag comme un champion, une beauté dotée de talent. Pourquoi perdre autant de temps et d'énergie sur un cheval tel que Whisper ? C'était surprenant, et intriguant à la fois. Mais rassurant sur la vision de Luka quant aux chevaux. D'une certaine façon, il me confortait dans ma première vision de lui. Ces dernières paroles échangées ne me donnèrent qu'une envie, le connaître d'avantage, pensais-je en souriant, songeuse.
Je me levais à mon tour, sentant l'impatience de Luka.
Juste une chose à faire avant de partir.
Je sortis de ma poche quelques friandises, que je posais là où étions assis quelques secondes auparavant.
Allez, on va le laisser seul un peu.
La suite, nous ne devions pas être là pour y assister. La suite, c'est Whisper, qui devait assimiler que notre présence était.. Gratuite en quelque sorte. Aucune demande, aucun effort, si ce n'est d'accepter nos voix, nos corps, nos odeurs, à côté de lui, dans son environnement. Il fallait dorénavant le laisser réfléchir à ça.
Je laissais Luka sortir du box, puis le suivit, et fermait doucement la porte du box, avant de me tourner vers le grand brun.
Je sais que j'entre dans quelque chose de spécial. Une relation cheval/cavalier ce n'est pas rien, et tu m'as tout l'air de quelqu'un qui a un profond respect pour ça. Mais ce n'est pas de ta faute Luka. Whisper est ce qu'il est, et sincèrement.. Il a beaucoup de chance de t'avoir.
Je lui souris, et lui effleurait doucement l'avant bras, me voulant chaleureuse, rassurante. Je cachais une légère gêne, due au contact physique, peut être un peu prématuré. Mais à mes yeux, il avait fait preuve d'énormément de confiance à mon égard pour me laisser entrer dans ce box, pour me dévoiler ses angoisses, ses blocages, face à Whisper. J'étais touchée. Réellement. Je n'avais pas vécu ça depuis mon départ du ranch, où des dizaines de propriétaires nous emmenaient leurs chevaux, nous les confiant aveuglément. Cette sensation, chaque jour, me manquait. Non pas par ego. Mais j'étais née, j'avais grandi, j'avais été élevée, POUR ça. Et si je me sentais plutôt bien à CDE jusque lors, et, je ne me l'avouais qu'à moitié, Luka y était pour beaucoup, je n'avais pas eu énormément de travail, si ce n'est Kaspyan. Mais mes journées ne pouvaient être remplies uniquement de lui..
Je me tus, pendant que Luka m'expliquait, avec émotions, la raison de ses doutes, et probablement, la véritable raison de ma présence ici. A un moment, je dus me mordre la lèvre pour ne pas l'interrompre, sans y faire réellement attention. Cependant, j'avais bien compris une chose, Luka n'était pas en train de faire quelque chose d'évident pour lui. Et à nouveau, je respectais ça.
Tu sais.. Il n'y a pas de poisse avec les chevaux. Mais si tu es persuadée de l'avoir, c'est forcément ce qu'ils te renvoient.
Nous nous éloignâmes un peu de l'allée des boxs, alors que je sortais une cigarette et un briquet de ma poche, avant d'allumer celle ci.
Vois Whisper comme du papier buvard. Ce que tu ressens, ce que tu caches aux autres, voire à toi même, lui il le voit, il l'absorbe, et malheureusement, il te le renvoie. Arrive stressé, il le sera. Arrive détendu, il sera plus à même à venir te voir.
De vrais miroirs.. J'avais déjà eu des frissons intenses en me retrouvant face à moi même ainsi. Parfois, vous vous levez le matin, et vous n'avez envie de rien. Mais vous vous mettez un bon coup de pied au cul, et vous vous levez. Vous vous habillez. Vous prenez votre café. Puis vous partez au boulot. La plupart des gens partent en métro, enfermés dans leur monde, entre écouteurs vissés dans les oreilles et smartphone. Moi, je descendais un étage, et j'étais dans les écuries. 14 pas, avais-je alors compté. 14 pas entre ma maison et mon lieu de travail. Pas le temps de me composer un visage, pas le temps d'effacer mes sombres pensées. 14 pas, c'est trop peu. Et alors, que de surprises avais-je eu. Travailler des chevaux est bien plus délicat quand vous avez déjà à travailler sur vous même..
Je m'assis sur une barrière, un peu en hauteur, mon visage arrivant, par conséquent, au niveau de celui de Luka.
Il te faut un cheval sain. Essaie ces méthodes sur Swag. Vois ce que tu préfères, vois ce qui te convient, essaie par toi même, sur un cheval qui te connaît, que tu connais. Pour une première tentative, Whisper n'est pas un cadeau, ajoutais-je avec un sourire.
Je voulais l'encourager. Je voulais lui dire qu'il y arriverait, un jour ou l'autre. Mais même moi, je n'avais aucune garantie à lui donner. Pourtant, au fond, j'avais plus que de bonnes opinions quant à la suite des choses.
Ensemble.. Je me surpris à sourire à ce mot, associé, en plus, au rapprochement de Luka. Mais non, quelle idiote. Non, il pensait, évidemment, à Swag et lui. Je n'étais, dans cette affaire, qu'une connaissance dont le savoir s'avérerait sûrement utile, rien de plus.
Je repris alors mes esprits, m'interdisant toute rêverie de ce genre, mais Luka me fit instantanément replonger dans mes pensées. L'éternelle question de la formation. Je n'avais pas envie de broder, pas avec lui. Pas envie d'arrondir les angles, de mentir à demi mots, pas avec quelqu'un qui avait montré autant de confiance en moi en si peu de temps.
Je suis née dans le Wyoming. Et on peut dire ce qu'on veut, mais un cow boy, ça aime son cheval. Plus que n'importe qui sur la planète.
Je marquais un temps de pause, assorti d'un petit sourire nostalgique.
Mon père dirigeait un complexe assez particulier. On recevait des chevaux venant d'un peu tout le pays, on les lui amenait, il les soignait. Il parait en tournée, il faisait des démos. Quand je suis née, j'étais faite pour ça..
Formée. Formatée même. Mon seul défaut avait été d'être une femme en réalité. Je n'étais que la fille Cooper, et je savais, malgré moi, qu'il aurait rêvé avoir un fils.. Mon père m'avait choyé comme personne, mais il m'avait aussi fait payer d'être née femme. Malgré lui..
Alors j'ai grandi là dedans. Au milieu des chevaux cassés, des mustangs sauvages. Je pense que je dois tout à mon père, aux gens que j'ai rencontré grâce à lui, grâce à nos voyages. Il n'y a pas d'école pour ça. Pas de livre. Pas de cours. Juste.. l'instinct.
J'avais fait ma première rééducation à l'âge de 7 ans, contre l'avis de mon père, en cachette. Fière comme un poux, j'avais fini par défiler, à cru sur le cheval en question, sous les yeux exorbités de mon père. Le souvenir cuisant de la baffe me fit frémir. Il avait été fou de rage. Et de fierté également. C'était dans mon sang. Il m'avait formée, mais encore aujourd'hui, d'une certaine façon, bêtement, je croyais encore que je le portais en moi.
Dernière édition par Keziah Cooper le Mar 3 Juin - 9:24, édité 1 fois
Luka était comme tout le monde sur ce point là. L'enfance fabuleuse de la petite fille perdue chez les cowboys.
Un instant, j'ai eu envie de le contredire. De lui parler de la poussière qui s'accrochent à la peau, de la sueur, de la chaleur cuisante de la journée contre les nuits glaciales, je voulais lui parler des lions de montagnes, des serpents et des coyotes, de la difficulté, pour une femme, de se faire une place dans un monde où le sexe féminin n'a pas le simple droit à être présent sur un rodéo, par peur de mauvaise chance. Lui parler des chutes, des os cassés, des douleurs noyés dans les pilules et dans l'alcool, des cris, des insultes.
Puis je pensais au reste. Je pensais à l'odeur du café qui emplissait la maison, à l'aube. Les 3 heures de travail qui précédaient le petit déjeuner, qui semblait enfumer la propriété. Je pensais aux victoires, je pensais aux défaites, arrosées, le soir, autour d'un feu de camp. Je pensais à la voix grave de mon oncle, qui chantait, accompgné de sa guitare. Je pensais aux rondes, d'entretien des prés, où on avait l'impression d'être perdu dans la nature. Je pensais aux mustangs, sauvages, fiers, libres, qu'on pouvait, parfois, apercevoir dans les montagnes.
Je finis par sourire, discrètement. Un petit sourire, aussi discret que mon regard n'était lointain. Je revins à mes esprits, momentanément perdue, de retour dans mon Wyoming natal.
Je portais alors à nouveau mon attention sur Luka. Il me parlait de chez moi, de me faire découvrir chez lui, et je sentis une légère chaleur me monter aux joues. Je ne compris pas pourquoi ses propos me faisait rougir.
Pourquoi pas.., répondais-je à sa proposition, Avec plaisir même.
Je plaçais une mèche de cheveux derrière mon oreille, tirait une dernière taffe sur ma cigarette que j'écrasais contre ma chaussure, mais gardait en main pour la jeter plus tard. Je penchais ma tête en arrière, les yeux fermés, pour souffler ma fumée en l'air. Puis je tourne à nouveau la tête vers Luka, toujours le même petit sourire aux lèvres. Je ne sais pas pourquoi, mais je commence à apprécier sincèrement ce jeune homme. Sa conversation, ses idées, son sourire, la petite étincelle dans son regard.. Reprends toi ma vieille, pensais-je, on ne détaille pas le visage des inconnus, ou quasi inconnus. Peu importe.